Un peu de culture kilim
Le terme de kilim regroupe toutes les formes de tissage donc tout ce qui n’est pas noué. Toutes..
- Histoire
Lorsqu’on s’intéresse aux kilims, ces tapis traditionnels, une question fascinante se pose : comment identifier leur origine, surtout quand ils viennent de groupes tribaux variés ? L’Anatolie, par exemple, est une région riche en diversité avec des milliers de tribus, certaines sédentaires et d’autres nomades, chacune avec ses propres kilims symboliques.
Identifier l’origine des kilims faits par des sédentaires est relativement simple grâce à leur localisation géographique fixe. Cependant, cela devient bien plus complexe pour ceux créés par des nomades. Leurs migrations étendues signifient que leurs kilims peuvent se retrouver loin de leur lieu d’origine, parfois même dans des mosquées situées à des centaines de kilomètres de distance.
Heureusement, il est possible de déterminer l’origine de ces kilims en observant certaines caractéristiques distinctives, comme la texture, la couleur, et le motif. Bien que la classification géographique proposée par Yanni Petsopoulos ne soit pas exhaustive, elle offre un bon point de départ pour comprendre d’où viennent ces kilims. Il est important, cependant, de rester prudent face aux informations trop précises fournies par certains vendeurs, qui peuvent parfois être trompeuses.
En s’appuyant également sur les recherches approfondies de Belkis Balpinar et Udo Hirsch, on peut obtenir des informations précieuses sur l’origine géographique des kilims. Grâce à leur expertise, il est possible de mieux comprendre d’où viennent ces kilims.
Il existe trois régions principales sur le Plateau anatolien, chacune produisant des kilims avec des caractéristiques si uniques qu’un amateur peut rapidement apprendre à les identifier à première vue. Cette simplification aide à apprécier la beauté et la richesse culturelle des kilims sans se perdre dans les détails complexes de leur origine.
Dans l’Ouest de l’Anatolie, une région riche en culture et en histoire, on trouve des kilims tissés par des nomades d’origine caucasienne. Ces tapis sont connus pour leur douceur et leur texture souple, grâce à l’utilisation de laines de haute qualité. Parmi les principaux centres de cette tradition textile se trouvent Balikesir, Bergame et Fethye, chacun avec sa propre signature dans le monde des kilims.
Les couleurs vives sont une caractéristique remarquable de cette région, avec des palettes qui incluent des rouges profonds, des bleus intenses et des verts d’eau captivants. Ces teintes sont souvent utilisées de manière à créer des effets visuels vibrants, notamment à travers le jeu des abraches, ces variations subtiles de teinte qui donnent vie et profondeur aux motifs.
Les Yüncüs, un groupe tribal pratiquant le chamanisme, produisent des kilims fascinants. Leurs œuvres arborent des motifs de volutes mystérieuses, encadrant parfois en négatif des arbres de vie, dans des compositions presque monochromes de rouge sang. Ces kilims sont des expressions puissantes de croyances et de traditions ancestrales.
À côté, les Karakecellis offrent des kilims au style plus sauvage, avec des motifs caucasiens traditionnels, tels que des médaillons à crochets et des cornes de béliers stylisées, témoignant de l’histoire et des mouvements de ces peuples à travers les territoires.
Plus au sud, les Yörüks de Fethiye favorisent une palette orangée, créant des motifs répétitifs qui, malgré leur simplicité apparente, cachent une complexité abstraite et des variations de couleur profondes.
En traversant vers le centre et la ville d’Aydin, on découvre les kilims de l’Aydinli, un groupe qui, malgré ses migrations étendues, a laissé une empreinte distincte avec des kilims centrés sur des médaillons et des cornes de béliers, variant considérablement d’une région à l’autre en termes de couleurs et de textures.
Ces variations, souvent influencées par le contexte géographique plus que par les spécificités ethniques, montrent la richesse et la diversité de la tradition des kilims dans l’Ouest de l’Anatolie, reflétant non seulement l’histoire et la culture des peuples qui les créent mais aussi la beauté naturelle de la région.
Au cœur du Plateau anatolien se trouve la région de Konya, un lieu chargé d’histoire et de préhistoire, comme en témoignent les sites archéologiques de Catal Hüyük. Cette zone est reconnue comme un berceau de la culture des kilims, où une diversité incroyable de tapis a vu le jour, tissée par une multitude de groupes et sous-groupes tribaux. La complexité et la richesse de cette tradition sont telles qu’elles dépassent l’entendement et pourraient remplir des volumes entiers.
Les kilims de Konya sont célèbres pour leur laine d’une qualité exceptionnelle, d’une brillance incomparable, qui sert de toile à une palette de couleurs vives et audacieuses. Les motifs, à la fois forts et équilibrés, poussent l’audace jusqu’aux limites de la géométrie, offrant un spectacle visuel saisissant.
À l’ouest de Konya, la tradition se distingue par des couleurs plus douces et profondes, avec une préférence pour des nuances allant du bleu au vert-bleu, enrichies par des tons de rouge-aubergine et des touches délicates de rose clair, rappelant la terre de Sienne. Cette palette crée une harmonie visuelle apaisante, tout en conservant une profondeur et une sophistication remarquables.
Vers l’est, près de Karapinar, les groupes tribaux turkmènes créent des kilims aux motifs simples mais expressifs, rayonnant de couleurs magnifiques. Leur approche, moins complexe mais tout aussi captivante, met en valeur la beauté naturelle des teintes employées.
Les Hotamis, voisins des turkmènes, se démarquent par leur style lyrique, combinant un décor exubérant à l’utilisation de couleurs brillantes. Leur travail, exemplifié par les pièces exposées au Musée des Arts Islamiques d’Istanbul, témoigne d’un art du kilim qui allie avec brio l’expression artistique à la technique.
Ainsi, la région de Konya offre un panorama fascinant de la variété des kilims, avec des pièces qui vont de l’audace colorée et géométrique à l’expression simple mais profondément évocatrice. Cette diversité reflète la richesse culturelle et artistique du Plateau Anatolien, faisant des kilims de Konya des œuvres d’art à part entière, témoins de siècles de traditions et d’innovations.
L’est du Plateau Anatolien, une région montagneuse s’étendant d’Erzurum à Malatya, est le berceau de kilims exceptionnellement raffinés, tissés principalement par des nomades d’origine kurde. Ces kilims se distinguent par la qualité de la laine utilisée, filée avec un soin extrême, donnant une texture à la fois robuste et d’un toucher sec, typique de cette région. L’emploi du coton pour les motifs blancs ajoute un contraste saisissant avec les couleurs vives, créant une dynamique visuelle unique.
Les kilims de l’est Anatolien sont réputés pour leur sophistication et par leurs authenticités notamment ceux du groupe Reyanli, qui incarnent la tradition ancestrale du « jardin fleuri ». Cette esthétique, qui évoque des jardins luxuriants, a rapidement conquis le cœur des amateurs d’art occidentaux, grâce à son raffinement et à sa richesse symbolique.
La beauté des kilims de cette région transcende les frontières et les catégories, reflétant une universalité de l’expression artistique à travers les fils colorés. La façon dont ils touchent l’observateur, évoquant parfois l’envie de « les manger » selon les mots d’une villageoise d’Anatolie, souligne leur impact émotionnel profond. Cette réaction spontanée rappelle étonnamment une anecdote similaire avec Picasso, soulignant l’attrait universel et intemporel des kilims.
Comme une œuvre d’art abstraite, les kilims captivent par leur jeu de formes et de couleurs, ouvrant les portes d’un univers artistique riche et audacieux. Leur composition, qui allie répétition de motifs et variations chromatiques, évoque la complexité et la précision d’une fugue de Bach, révélant une harmonie presque mathématique.
Les kilims, bien plus que de simples objets décoratifs, sont une expression vivante des croyances, identitaire et traditions des groupes tribaux qui les créent. Leur fabrication, exigeant une technique de tissage rigoureuse, les rapproche des vitraux pour leur capacité à filtrer et à jouer avec la lumière à travers leurs merveilleuses couleurs.
En définitive, les kilims de l’est Anatolien incarnent l’idée que l’art naît de la contrainte et se nourrit de la lutte, une vision partagée par André Gide. Ils illustrent magnifiquement comment, dans le cadre strict de la tradition et de la technique, l’expression artistique atteint des sommets de créativité et de beauté, témoignant de la richesse culturelle et de l’héritage spirituel de leurs créateurs.